Où est le dogmatisme ? Chez les intersexes ou chez les psys ?

« Dans l’alcôve de ce drame intime [c’est à dire la naissance d’un·e enfant intersexe], les parents ne sont pas acquis à l’idéologie queer de dépassement de la distinction des genres ». (Gueniche 2010)

Un certain nombre de médecins et de psys cherchent à disqualifier les intersexes qui prennent la parole afin de faire taire leurs critiques. C’est hélas un procédé courant, notamment de la part de personnes ou des groupes de personnes qui sont bénéficiaires d’un rapport de force. Plutôt que d’accepter une confrontation de point de vue, ces personnes cherchent à invalider l’autre pour le faire taire. Il y a plusieurs façons dont les psys disqualifient les militant·e·s intersexes. Dans cet article nous allons dénoncer principalement la stratégie qui cherche à présenter les militant·e·s comme forcément dogmatiques par définition (parce que militant·e·s) alors que les médecins et les psys seraient pragmatiques, neutres et sans aucune idéologie. Nous allons voir ça de plus près et constater que beaucoup des psys que nous avons lu font preuve d’une réelle malhonnêteté intellectuelle et que leur positionnement pro-médicalisation des intersexes repose sur des stéréotypes sexistes, homophobes et transphobes.

Une tentative de disqualifier la parole des intersexes

Gueniche n’est pas la seule à parler du supposé dogmatisme des militant·e·s. Elle est dans la filiation de Chiland qui écrivait il y a une dizaine d’année : « Un grand champ de recherches s’ouvre à nous pour répondre par des données de fait au tourbillon idéologique de notre temps. Le dialogue des médecins avec les associations d’usagers qui coopèrent avec les professionnels n’est pas toujours facile. Il est encore plus difficile avec les associations de militants » (Chiland 2008).

Les miliant·e·s sont ici assimilés à de l’idéologie, sans explication, sans argumentation. C’est présenté comme un fait. Encore plus fort, dans cette citation, ce qui est perceptible en filigrane c’est la façon dont l’auteure présente les médecins comme des êtres injustement traités par les intersexes. Alors qu’ils font tout pour leur bien, ces ingrats de militant·e·s ne coopèrent pas et ont des revendications basées sur une idéologie. Les professionnels (médecins et psys inclus) sont donc victimes. Victimes des intersexes qui se rebiffent, qui ne disent pas merci, qui critiquent et dénoncent les opérations sans consentement, les injections d’hormones forcées, les dilatations subies de façon répétitives des néo-vagins, etc. Ce retournement de qui serait la victime de l’autre est assez ignoble.

D’autres psys nous critiquent via un procédé souvent hélas bien connu des féministes : nous sommes décrit·e·s comme des hystériques, des boules d’émotivité inaccessibles au raisonnement. J’exagère à peine. Dans l’extrait suivant, l’auteur nous explique tout cela sur un ton condescendant :

Cette ‘contestation’ a soulevé de nombreuses discussions passionnées dans lesquelles interviennent de plus en plus les patients adultes eux-mêmes par le biais des associations de patients, particulièrement actives dans certains pays. (Mouriquand 2012)

Je laisse apprécier l’usage des guillemets pour qualifier les contestations/revendications des personnes concernées. Ensuite, les discussions sont qualifiées de « passionnées ». C’est le seul passage du texte ou ce mot est évoqué. On peut imaginer que l’auteur ne l’a pas utilisé par hasard et sans voir ce qu’il sous-entendait.

Passion/affectivité/idéologie/contestation sont donc les termes qui sont utilisés pour invalider les contre-discours et les savoirs élaborés par les personnes concernées. Mais il reste encore une autre voie de disqualification possible. Celle qui consiste à faire dire aux intersexes des choses fausses et/ou idiotes  : « Nous dénoterons néanmoins sur ce point, à l’occasion du cas de Bertrand, que tous les intersexués n’estiment pas avoir été mutilés par la chirurgie. Au contraire, à aucun moment Bertrand ne remet en question la décision chirurgicale qui a été prise à son égard » (Michel 2008)

Dans cet extrait, l’auteur n’évoque absolument pas les grandes revendications des intersexes en terme de droits humains, en terme d’auto-détermination, en terme de consentement éclairé. Non, il trouve UN cas où la personne « ne remet pas en question la décision chirurgicale ». L’auteur tente de nous faire croire que le discours des intersexes c’est « Toutes les personnes qui ont eu des interventions chirurgicales disent avoir été mutilées ». En déformant les revendications des intersexes et en nous parlant de la seule situation de Bertrand cela viendrait prouver que la totalité des discours (nécessairement pluriels) des intersexes sont faux et donc qu’il n’y a plus à les écouter…

bullshit

La question des chiffres : une donnée à géométrie variable

Dans la logique « l’hôpital qui se fout de la charité » un bon nombre de psys s’avèrent assez remarquables. Nous avons vu qu’ils critiquent la supposé idéologie des militant·e·s comme si eux même n’en avaient pas. Nous allons voir maintenant qu’ils critiquent le manque de sérieux des études militantes, décrites comme non-significatives et non-scientifiques car reposant sur des petits nombres de personnes. Pourtant, malgré leurs moyens sans commune mesure à ceux des associations militantes, les études des médecins et des psys n’y répondent pas plus.

Nous avons un splendide exemple de cela avec Chiland qui dans un même texte (Chiland 2008) explique :
« Les militants rapportent que des intersexes adultes souffrent de ce qu’on leur a fait, en dehors de toute demande et de tout consentement de leur part ; il faudrait qu’ils publient leurs témoignages, dont certains sont impressionnants. Mais, il est impossible de déterminer le nombre des mécontents et le nombre de ceux qui ne se plaignent pas » puis « Tout récemment en 2006, un centre de référence pédiatrique consacré aux maladies rares du développement sexuel a été créé sur un axe Paris-Lyon. L’importance du suivi prospectif des patients a été méconnue. On en est réduit à entreprendre maintenant des études rétrospectives sur des cohortes dont on ne retrouvera pas tous les patients. En France, les médecins ont à coeur de respecter la liberté des patients et répugnent à leur proposer un suivi systématique; du coup, ils sont réduits à évaluer leurs résultats à partir des seuls patients qui reviennent les voir spontanément ou répondent à leur invitation à revenir. »

A ses yeux, les écrits des intersexes sont donc invalides car 1) ce ne sont « que » des témoignages (trop « passionnés » dirait Mouriquand) et car 2) on n’a pas de données chiffrées probantes et fiables. Mais à l’inverse, les équipes médico-psychologiques n’ont pas besoin de présenter ces chiffres. Par défaut, les interventions non-nécessaire à la santé et non-consenties sont quand même réalisées. Ici, pas de principe de précaution. On coupe d’abord, on réfléchit ensuite. Et encore, on ne peut pas réfléchir, avoir des données chiffrées et des suivis car les équipes françaises respecteraient trop la liberté des patients. Oui, la liberté des patients est un concept à géométrie variable. Quand la liberté de la personne concerne les interventions en elles-mêmes, les équipes ne s’en soucient pas mais quand la liberté sert à justifier l’absence de suivi des personnes pendant les années suivant les interventions, elle est sortie du chapeau comme par magie. Par ailleurs, on peut s’interroger sur le fait qu’en plus de 50 ans de médicalisation des intersexes en Europe et en Amérique de Nord, il n’y ait pas d’études significatives qualitativement et quantitativement qui soit en état de montrer le bénéfice des chirurgies. Si ces études n’existent pas, que doit-on en conclure ?

Au sujet des critiques sur la rigueur et la recevabilité des arguments des associations, Janik Bastien-Charlebois, sociologue et militante intersexe, expliquait lors d’une conférence donnée en mai 2016 (sur l’invitation de l’Institut Emilie du Châtelet) que ce type de rhétorique est habituel et qu’il dépasse le cadre de l’hexagone. Elle évoque le fait qu’il est régulièrement reproché aux militant·e·s de ne pas présenter d’études valables pour soutenir leurs arguments alors qu’iels n’avaient aucun moyen d’accéder à ce type de données. Données d’ailleurs que les équipes médicales ne semblent même pas posséder puisqu’elles ne les présentent pas comme nous l’avons évoqué précédemment.

Une dernière remarque sur ces questions quantitatives. Une certaine psychologue, enseignante à l’université par ailleurs, ne semble pas avoir de problème avec le fait de publier des études avec des chiffres peu représentatifs. Pourtant, là, personne ne crie au scandale méthodologique et à l’absence de rigueur. Ainsi Gueniche publie en 2005 un texte basé sur 6 jeunes et leurs familles. Elle en déduit toutes sortes de choses dont le portrait robot psychologique d’une certaines catégorie de personnes intersexes. Oui, à partir de 6 jeunes intersexes seulement. Par ailleurs, sur ses différents articles, elle utilise la même situation (celle d’Alexandra et de ses parents) dans trois textes différents sur quelques années (2009, 2010, 2012). Ceci laisse imaginer le faible nombre de situations sur lesquelles elle se base et sa façon d’extrapoler ses conclusions…

Pour finir cette partie et élargir les enjeux, nous ne pouvons que constater que l’usage des chiffres et des demandes d’études n’ont qu’un seul effet : faire gagner du temps aux médecins. Je me permet de traduire un peu malicieusement leur logique de la façon suivante : « Pour accepter d’entendre vos revendications nous attendons que vous, militant·e·s intersexes, fournissiez des chiffres sur le devenir d’un grand nombre d’intersexes et que la majorité des personnes ayant subi ces opérations les critiquent. Nous précisions que tout ce travail sera fait sans utiliser les données disponibles dans les hôpitaux et qu’il devra être fait gratuitement (seuls les professionnels de santé ayant le privilège d’être payés pour écrire des études). Nous nous réservons le droit d’estimer que ce travail est recevable ou non sans présenter d’argumentations. Enfin, nous précisons que nous ne pouvons entendre aucun discours qui évoque des questions éthiques sauf si celles-ci peuvent aller dans notre sens et maintenir les prises en charges actuelles et donc notre activité professionnelle et nos rémunérations ».

De la malhonnêteté intellectuelle

Je propose maintenant une petite sélection de citations montrant la malhonnêteté intellectuelle d’un certain nombre de psys. Pour alléger la lecture j’ai décidé de présenter cela sous la forme d’une citation puis d’un rapide commentaire.

« Milton Diamond avait suggéré un moratoire : qu’on suspende les interventions et qu’on étudie ce que sont devenus tous les patients. Tous les médecins sont maintenant convaincus de l’importance des études de suivi, rétrospectives et mieux prospectives, permettant de constater les résultats de ce qu’on a fait ou n’a pas fait » (Chiland 2008)

Il a fallu plusieurs dizaines d’année pour en arriver à l’idée qu’il fallait des études de suivi pour évaluer les résultats. Si aujourd’hui, les équipes semblent être d’accord sur cela, dans les faits, rien n’a changé. La faute est toujours reportée sur la génération des professionnels d’avant ce qui fait qu’il n’y a aucun remise en cause des pratiques actuelles et de leurs présupposés. Cela s’accompagne de l’idée que les techniques seraient meilleures aujourd’hui et qu’il n’y a rien à y redire.

« Intersexe, ça voudrait dire qu’il y aurait quelque chose au milieu. Sur le plan psychologique c’est extrêmement important d’être dans un repère sexué ne serait-ce que pour exister dans le langage. Dans la langue française c’est masculin/féminin. Il faut se nommer, il faut se qualifier à un moment donné. L’opération, ok on la veut à 20 ans, on la veut à 15 ans mais qu’est-ce qu’on fait de la personne, de son psychisme ? On dit non on t’élève pas on attend, dans 15 ans, c’est très surprenant » (Malivoir, 2016)

Ici, la psychologue interviewé par Arte essaye de nous faire croire qu’on ne peut pas élever un·e enfant sans intervention chirurgicale modifiant son corps. La question du corps et celle du langage ne seraient pas articulés mais confondus. Par ailleurs, elle utilise la technique évoquée précédemment qui consiste à faire dire des choses très idiotes aux intersexes pour tenter de disqualifier leur parole et l’ensemble de leurs revendications. Enfin, nous pouvons remarquer qu’à ses yeux, il est plus simple de modifier des corps que de développer une grammaire non-binaire. Pour la citer à nouveau : « C’est très surprenant ».

« Dans la majorité des cas, ces anomalies sont faciles à identifier par les spécialistes et les décisions diagnostique et thérapeutique ne soulèvent guère de discussions ». (Mouriquand 2012)

Le message est clair : « Circulez, il n’y a rien à voir ». Les équipes qui interviennent sur les jeunes intersexes sont décrites comme légitimes à modifier des corps dans la majorité des cas. Pourtant, le terrain sur lequel les associations d’intersexes et différents organismes internationaux se positionnent c’est celui des droits humains. Il ne s’agit pas de dire si c’est techniquement facile à faire ou pas. Il s’agit de montrer qu’une intervention non-nécessaire sur son propre corps ne devrait être décidée que par la personne concernée et avec son consentement libre et éclairé. En ça, les militant·e·s intersexes ne peuvent qu’être féministes et reprendre la fameuse phrase « Mon corps m’appartient ». Ce n’est pas aux médecins ou aux psys de dire comment nos corps doivent être, ce qu’on peut en faire ou pas, ce qu’on doit en faire ou pas.

« Elles sont affectées par la possible présence de cicatrices inesthétiques. L’accès à une sexualité est d’autant plus difficile quand ces jeunes filles ont eu de multiples interventions chirurgicales et surtout des dilatations vaginales ; elles doivent alors réinvestir leur sphère génitale qui était très médicalisée et se la réapproprier » (Paye- Jaouen 2012)

Ce passage est très étonnant à mes yeux. En effet, il y a une discordance nette entre la violence de ce qui est décrit, l’impact des interventions sur ces jeunes filles et l’absence de remise en cause du paradigme qui consiste à faire des opérations. Ici, difficile de savoir si c’est de la malhonnêteté intellectuelle ou s’il s’agit d’une impossible remise en cause pour l’auteur du système auquel il participe. Reconnaître sa responsabilité dans la création d’une souffrance chez des personnes en situation de vulnérabilité n’est sans doute pas une mince affaire. Mais, en ne reconnaissant pas la violence produite par le passé, l’auteur ne fait que produire encore plus de violence dans le présent et dans le futur.

« Conséquence toujours, les traitements médicaux comportent deux volets : Sous le sceau du corps la possibilité d’un traitement substitutif hormonal associé ou non à un acte chirurgical. La rencontre avec un psychanalyste est proposée aux parents et aux enfants comme une opportunité d’évoquer les conséquences de cet état. À ce stade, il ne s’agit pas d’établir un traitement psychologique codifié mais plutôt de favoriser un espace où, face à un tiers, une compréhension de soi puisse se découvrir en parlant » (Tamet 2010)

L’auteur est ici soit très malhonnête, soit aveugle à la place qu’il prend dans un protocole visant à normaliser les intersexes. Alors qu’il évoque dans un premier temps des actions visant à normaliser (par la chirurgie ou les hormones) il explique dans un second temps qu’il faut des actions non-normalisatrice (sur le plan psychique). Comment peut-on défendre l’accompagnement du cheminement personnel d’une personne, son auto-définition, son empowerment, etc. et accepter en même temps une médicalisation sans consentement décidée par un tiers se définissant comme expert ? Enfin, nous verrons dans la deuxième moitié de notre article que les interventions de beaucoup de psys reposent sur des stéréotypes sexistes, homophobes et transphobes. A partir de là, il est encore plus difficile de croire qu’ils n’ont pas un projet de normalisation psychique correspondant à la normalisation physique mise en place par les médecins.

« A la naissance et face à l’annonce du diagnostic, il arrive que le père pose avec vivacité des questions qui concernent la future vie sexuelle du nourrisson. Ainsi jaillissent des interrogations anticipatrices sur la qualité de la sexualité adulte que pourrait avoir le bébé. Cet aspect peut sembler complètement décalé, à la limite inconvenant, eu égard à l’âge de l’enfant » (Tamet 2010)

Il est intéressant de voir que ce qui est critiqué chez les parents n’est pas questionné chez les médecins. En effet, les équipes déterminent les chirurgies en fonction de ce qu’elles projettent de la sexualité future de chacun·e de ces enfants. C’est ainsi qu’un·enfant qui a un pénis vu comme trop petit sera assigné en fille. C’est ainsi qu’on demandera à des parents de dilater régulièrement le vagin de leur enfant pour que celui-ci ait les caractéristiques nécessaires pour être pénétré par un pénis. Quand les équipes modifient les corps avec ces présupposés là, elles ne sont pas dogmatiques, elles n’ont pas des préoccupations décalées ou inconvenantes. Pourtant, on peut se dire que ce qu’une personne fait de sa vie sexuelle n’a pas à regarder les médecins. On peut avoir un vagin et ne pas vouloir être pénétrée par un pénis. On peut avoir un pénis et l’utiliser de façon agréable sans être dans un rapport pénétrant, etc.

Un positionnement clairement conservateur

Nous allons maintenant aborder la seconde partie de cet article qui montre précisément le conservatisme de beaucoup de psys. La question qu’on peut se poser est la suivante : est-ce que ces psys sont dans l’impossibilité de questionner leurs concepts et de les remanier en fonction de la réalité qui se présente à eux ? Ou bien est-ce que leur façon de tenir certains positionnements est juste la traduction d’un positionnement résolument conservateur masqué par des discours présentés comme scientifiques ? Je laisse un instant la parole à deux psys critiques de la communauté des psys :

« Tandis que les recherches philosophiques, sociologiques, anthropologiques, neurocognitives apportent chaque jour de nouveaux arguments contribuant à déconstruire la catégorie « homme », la catégorie « femme » et les rapports de ces catégories entre elles, la pensée psychopathologique se trouve comme sidérée face à ces questions, et semble rester extérieure aux avancées d’une société qui évolue très vite dans ce domaine » (Sarfati 2007)

« A mesure, que les transformations des rapports entre les sexes ont bouleversé dans la société occidentale les structures de la famille, de la parenté, de l’exercice social de la sexualité, il a pu sembler que la psychanalyse avait partie liée avec les schémas les plus traditionnels, justement écartés, comme si sa vocation était toujours de rappeler quelque norme inconsciente » (Tort 2005)

De quelles normes ces psys évoqués par Tort et Sarfati sont-ils les gardiens ? Qu’est-ce qui est à leurs yeux un danger tant pour la construction des « Sujets », pour « le Symbolique » que pour « l’Ordre social » ? C’est ce que nous allons voir maintenant.

Stéréotypes de genre, ce qui est attendu des hommes et des femmes

Les militantes et universitaires féministes montrent depuis longtemps que les comportements prescrits ou proscrits aux femmes et aux hommes ne sont pas les mêmes. Ces injonctions qui traversent la société n’épargnent pas les psys. La majorité d’entre eux n’a pas questionné et déconstruit un certain nombre de stéréotypes et la façon dont il pèse sur tout le monde et plus particulièrement sur les personnes qui s’éloignent le plus de ces injonctions.

Voici quelques exemples : « La jeune fille frappe par son allure particulièrement féminine : elle est élancée et gracieuse » (Michel 2008) On ne sait pas si ici cette remarque est une remarque de surprise évoquant le fait qu’il est surprenant qu’une jeune intersexe puisse être tellement féminine ou si cette remarque est là pour montrer que l’opération était légitime et que la preuve vient du fait que cette jeune femme est totalement féminine.

« Dans l’ensemble, l’attitude de ces adolescents face à la situation d’évaluation est passive. Ils exécutent les tâches les unes après les autres sans volonté apparente de réussir, ne maintiennent pas l’effort et renoncent devant la difficulté. L’échec au subtest « Arithmétique » est constant. […] Ces premiers résultats nous autorisent à penser que le syndrome de Klinefelter peut constituer un obstacle au  »travail du masculin » et contrarier l’accès à une identité sexuelle masculine » (Gueniche 2005)

Ce que l’auteure nous explique ici c’est que ces jeunes intersexes ne peuvent pas être de « vrais garçons ». D’ailleurs, ils n’en ont pas les caractéristiques. Un garçon puis un homme ne peut pas être passif, il doit avoir un fort désir de réussite et doit être dans une volonté de challenge façon à une difficulté. Enfin, il doit être bon en matières scientifiques et particulièrement en arithmétique. Enfin, dans cette citation on note le terme « identité sexuelle masculine ». Dans la suite du texte, ce que l’auteure met dans cette expression n’est pas développé ou explicité. On peut faire l’hypothèse que cela peut concerner le fait d’être hétérosexuel. Nous verrons plus loin des éléments confirmant cela.

« Les ambiguïtés sexuelles confrontent le médecin à la décision d’attribuer un sexe : faut-il élever en garçon un enfant sans verge ? Ou faut-il l’élever en fille stérile ? » (Sirol 2012).

«  »Comme elle est jolie ! »,  »Comme il est fort ! » » (Sirol 2012)

Dans l’esprit de l’auteur, ce qui fait un garçon c’est qu’il a un verge et qu’il est fort. Ce qui fait une fille c’est qu’elle est fertile et qu’elle est jolie. L’auteur pose cela comme des faits, sans aucune distance, sans voir que ces caractéristiques sont socialement construites. Dès lors, comment écoute t-il les personnes qu’il reçoit ? Comment peut-il donner des éléments aidant les jeunes intersexes et leurs parents qui sont déjà confronté·e·s à de la stigmatisation sociale ? Le psy ne peut pas être neutre ici. Il n’y a pas ceux qui seraient dans l’idéologie et ceux qui ne le sont pas. Face à des stéréotypes qui pèsent sur les gens, on ne peut qu’être soit dans la critique de ces stéréotypes, soit dans leur validation et amplification. Se prétendre neutre, ne pas se positionner face à ces enjeux, c’est faire le jeu d’un système injuste, stigmatisant et oppressif.

« L’effroi et l’inquiétante étrangeté que génère la naissance d’un bébé intersexué plongent les parents dans une confusion à l’allure psychotique et les conduits souvent d’emblée à des débordements comportementaux de nature sensitive (surtout les pères) et au retrait dépressif (notamment les mères) » (Gueniche 2010)

Ici, l’auteure ne parle plus des intersexes mais de leurs parents. Nous pouvons noter là encore la présence de stéréotypes. Les pères vont réagir activement, s’énerver, menacer les équipes, être dans le passage à l’acte alors que les mères vont réagir passivement, se déprimer, se replier sur elles-mêmes, montrer des émotions de tristesse.

Enfin, étant donné ce que nous avons déjà développé, il n’est pas nécessaire de commenter le titre de ce texte présenté comme une référence dans la bibliographie de l’article de 2005 de Gueniche : « Girard, M. (1998). Le masculin actif ou le sexe de la libido. Revue Française de Psychanalyse,LXII, 415-428 »

Sexisme et phallocentrisme

Dans la continuité de la critique des stéréotypes de genre chez les psys, nous allons voir plus précisément leur sexisme et leur phallocentrisme. Autrement dit, tout fait sens par rapport au pénis.

« Lorsqu’on demande à une toute jeune mère : Est-ce un garçon ou une fille ? La réponse relève d’un rapide examen  »de surface », la présence ou l’absence d’un zizi emportant la décision » (Mouriquand 2012)

Peut-être que certain·e·s d’entre vous ne voient pas où est le problème. Ça peut être vu comme juste du point de vue descriptif. Mais pourquoi ne pas articuler pénis/vulve au lieu d’articuler pénis/absence de pénis ?

« Les enfants génétiquement masculins (46, XY) porteurs d’un tubercule génital insuffisamment développé. Les enfants génétiquement féminins (46, XX) dont les organes génitaux ont été anormalement virilisés » (Mouriquand 2012)

Là encore, l’auteur développe une logique phallocentrée. Le sexe est décrit soit comme trop virilisé ou pas assez virilisé. Cette façon de penser les corps a des conséquences sur les interventions chirurgicales et sur la façon dont les intersexes jeunes et moins jeunes sentent que leur corps est connoté et jugé. Ces présupposés des équipes médico-psychologiques ont donc des conséquences concrètes sur la vie des intersexes.

« Entre 16 et 31 mois, le garçon découvre son pénis et les érections (émergence d’une conscience des organes génitaux centrée sur le pénis). Vers 30 mois, l’enfant découvre la différence anatomique entre les sexes par l’observation des autres enfants nus, de ses parents nus. Le garçon s’aperçoit que la fille ne possède pas de pénis, il s’en inquiète et craint d’en être privé à son tour (angoisse de castration). La fille voit le pénis, elle sait qu’elle ne l’a pas et elle le veut (revendication phallique) » (Sirol 2012)

Cette citation est intéressante car elle est caractéristique de la façon dont la majorité des psys, influencés par la psychanalyse ou psychanalystes eux-mêmes, construisent le développement des enfants dyadiques. Ici, le personnage principal est le garçon. La fille n’est évoquée qu’à la fin, en une seule phrase. Toute la complexe question de l’investissement de son propre corps, du plaisir trouvé avec celui-ci et des fantasmes qui y sont liés est centrée autour du seul pénis. Tout ce qui n’est pas du côté du garçon avec un pénis est décrit du côté du manque. On pourrait pourtant évoquer des expériences de découverte de la fille de son corps. On pourrait pourtant évoquer les questionnements que les enfants ont tou·te·s sur ce qui n’est pas visible et qui se passe à l’intérieur du corps. Quand on voit la pauvreté et le sexisme de la conceptualisation du développement psychosexuel des dyadiques, on imagine bien que c’est encore pire pour celle que ces psys peuvent avoir par rapport aux intersexes…

Présupposés homophobes et transphobes

Selon les auteurs, on va d’une homophobie policée à une homophobie beaucoup plus assumée. Ainsi, au début de l’échelle on trouve le texte de 2012 de Tamet. Ce dernier évoque a propos d’un jeune intersexe « les mots insultants et humiliants du frère aîné qui met en doute son orientation sexuelle masculine ». Cela raisonne avec « l’identité sexuelle masculine » (Gueniche 2005) évoquée précédemment. Mais de quoi parlent ces auteurs ? De quoi est faite l’essence de l’orientation/l’identité sexuelle masculine ? Ni l’un ni l’autre n’en dit plus. Cela nous oblige à lire entre les lignes. On peut faire l’hypothèse qu’ils évoquent le fait les hommes sont par nature amenés à désirer des femmes. L’inquiétude de beaucoup de médecins et de psys est que les hommes intersexes deviennent homosexuels. Voici quelques éléments montrant leur préoccupation à ce sujet.

On peut évoquer ce texte inscrit dans la bibliographie de l’article de 2009 de Gueniche : « Kreisler L. (1990), L’identité sexuelle et sa genèse. À propos des enfants de sexe ambigu et des déviations psychosexuelles précoces, Journal de Pédiatrie et de Puériculture, 7, pp 423-430 ». On voit qu’ici, le lien entre sexe atypique et risque de pratiques sexuelles déviantes est explicite.

D’une façon différente, on voit comment Chiland développe dans un même paragraphe son idée sur les critères auxquels doivent répondre les corps classifiés comme des corps d’hommes ou de femmes et sur la bonne façon d’utiliser sexuellement ces corps :

« On ne sait pas construire un pénis satisfaisant, mais on peut créer un néovagin. Le choix a été souvent de sacrifier la fertilité à la plausibilité de l’apparence et à la possibilité de relations sexuelles (hétérosexuelles, disent les critiques). La décision peut être simple : à un bébé avec une formule chromosomique 46,XX et un clitoris hypertrophié, atteint d’hyperplasie congénitale des surrénales, sera assigné le sexe féminin. Ou la décision peut être difficile et discutable : devant une agénésie pénienne ou un micropénis ne répondant pas aux stimulations androgéniques, avec chromosomes 46,XY, va-t-on décider d’élever l’enfant en garçon (c’est un mâle par ses chromosomes) ou en fille (c’est un mâle qui va rencontrer de grandes difficultés sous le regard des autres et dans la vie sexuelle faute d’un pénis adéquat) ? Il ne s’agit pas de s’engager dans une discussion idéologique, mais d’étudier les résultats obtenus comme le font Zucker [16] et Reiner et Gearhart [17] » (Chiland 2008)

Cette citation est d’autant plus intéressante qu’elle condense la majorité des éléments développés dans le présent texte : 1) disqualification des intersexes comme étant dans des discussions idéologiques, 2) volonté de présenter les médecins et les psys comme étant neutres et producteurs de savoirs objectifs, 3) négation de l’homophobie des équipes médicales.

Pour finir, voici un extrait qui pathologise en même temps les intersexes, les trans, les gays et les lesbiennes (les LGBTQI+ dans leur ensemble en fait).

« Il n’y a pas, a ma connaissance, d’études longitudinales établies sur le devenir des enfants de sexe ambigu, c’est-a-dire leur orientation sexuelle, leur choix d’objet sexuel. I1 est vrai que si, ordinairement, le choix hétérosexuel parait naturel et attendu, il semble que dans l’esprit des gens, l’ambigu sexuel parait en être privé. L’interrogation candide habituelle, sorte d’idée reçue : « Ce sont des homosexuels ? » renvoie à l’angoisse de l’inquiétante étrangeté et à la confusion avec le transsexualisme qui, lui, interroge sur l’essence même de la féminité et de la masculinité.
Le choix hétérosexuel et tout autant le choix homosexuel demandent a être expliqués par l’enfance et l’histoire du sujet et, en premier, par les particularités de son organisation oedipienne. L’homosexualité est un écueil identificatoire, une relation d’attachement et d’identification avec le parent du même sexe qui n’a pas été établie de façon satisfaisante » (Sirol 2012)

Ce texte, publié 12 ans après celui de Kreisler sur les « déviations psychosexuelles précoces » est exactement sur la même ligne. Les droits des minorités ont lentement progressé grâce à la mobilisation des personnes concernées, la société a bougé, visiblement pas certains psys. L’hétérosexualité est « naturelle », l’homosexualité est un « écueil identificatoire ». Quand à ce que pense l’auteur des transidentités, son utilisation du terme « transsexualisme » ne nous fait pas attendre quoi que ce soit de positif.

Enfin, nous pouvons souligner chez Sirol une chose hélas partagée par beaucoup d’autres psys: la volonté d’avoir des études sur le devenir des intersexes n’a pas pour objet de voir le bien-être global des personnes. La volonté n’est pas non plus d’évaluer ce que les interventions génitales ont produit comme douleurs ou comme moindre plaisir. Non, la volonté est de voir si les personnes ont « une bonne » orientation sexuelle.

Pour conclure

Beaucoup de psys ont un regard normatif sur les personnes qu’ils reçoivent, sur leur corps et sur ce qu’elles doivent en faire. Selon ce regard, les femmes doivent accepter une position passive sexuellement. Elles doivent investir leur vagin plus que leur clitoris et avoir une sexualité avec des hommes. Dans le cas contraire, ces psys disent qu’il s’agit d’un arrêt du développement psychosexuel. Selon ce regard, les hommes doivent avoir une position active sexuellement. Ils doivent investir leur pénis et avoir des érections pour pénétrer des vagins. Toute autre sexualité est décrite par ces psys comme un arrêt du développement psychosexuel.

Dans les études de suivi sur les intersexes, une intervention est vue comme « un succès » quand :
– la personne est cisgenre
– les organes génitaux ont un aspect « satisfaisant et crédible »
– la personne est en couple hétérosexuel et ce couple a des rapports sexuels réguliers
– la sexualité pratiquée par le couple est centrée sur la pénétration d’un vagin par un pénis

Tout ces critères dépendent uniquement du regard du professionnel sur la personne. Les critères choisis ne prennent aucunement en compte le point de vue de la personne, ce qu’elle dit de son rapport à son corps, ce qu’elle a comme sensations, comment elle se sent vis à vis des autres, etc.

Tout cela nous montre que la pathologisation et la médicalisation des intersexes, sous couvert de leur rendre une vie meilleure et de les faire échapper à la marginalisation, repose sur une processus de normalisation. Il s’agit d’un contrôle social sur le corps des personnes intersexes. Celui-ci se base sur le sexisme, l’hétéronormativité et la transphobie.

Finalement, on peut dire que nous avons tou·te·s des présupposés, des valeurs sur lesquelles nous nous appuyons pour soutenir nos positions. Nous avons tou·te·s des positions qui font que nous avons un avantage ou pas à ce que les choses changent dans les dispositifs d’accompagnement des intersexes.

Mais ce qui différencie clairement les intersexes des psys c’est que nous assumons d’avoir un positionnement, d’avoir un savoir situé et que nos écrits et revendications s’inscrivent dans des enjeux de pouvoir. Notre positionnement est basé sur le respect des droits humains. Une personne doit être libre de choisir ce qui est bon pour elle. Une intervention visant des modifications corporelles doit se faire avec le consentement libre et éclairé de la personne. Les personnes ayant un corps atypique doivent avoir les mêmes droits humains que le reste de la population. Voilà ce qui oriente nos textes, nos revendications et nos actions.

De leur côté les médecins et les psys tentent de faire croire qu’ils auraient un rapport direct au savoir, sans que leur subjectivité, sans que leurs présupposés et ceux de la société dans laquelle ils vivent ne puissent influer leur regard. Je pense que les nombreuses citations utilisées dans ce texte permettent de voir que leur positionnement est basé sur des stéréotypes de genre, sur une volonté d’effacement des personnes ne correspondant pas aux normes et sur des présupposés sexistes, homophobes et transphobes. On comprends mieux pourquoi les psys qui légitiment les interventions sur les intersexes sont moins à l’aise que les associations de militant·e·s pour nommer clairement d’où ils parlent et sur quoi ils basent leur positionnement…